Google a dévoilé son formulaire de droit à l’oubli numérique pour permettre aux internautes de supprimer des résultats du moteur de recherches qu’ils estiment être obsolètes ou incorrects. Alors pourquoi Google décide soudainement de faire un pas vers la protection des données personnelles ? Et qu’en est-il réellement de ce formulaire ?
Le droit à l’oubli numérique, kézako ?
Le droit à l’oubli numérique désigne la possibilité pour les internautes de faire disparaître du Web, et notamment des moteurs de recherche, des données personnelles pouvant leur porter atteinte ou étant obsolètes.
Le concept n’est pas nouveau et il a même fait l’objet de deux chartes en 2010 proposées par Nathalie Kosciusko-Morizet, à l’époque secrétaire d’État chargée de la Prospection et du Développement de l’économie numérique. La première concernait la publicité ciblée et permettait aux internautes d’avoir plus de contrôle sur les données collectées et les publicités proposées. Quant à la seconde, elle concerne le droit à l’oubli numérique sur les sites collaboratifs et moteurs de recherche. Si Google, Facebook et la CNIL ont participé à la réflexion autour de cette Charte, ils ne l’ont cependant pas signé ! Pourtant, Google et Facebook sont les principaux acteurs mis en cause sur la collecte et la vente de données personnelles.
Plus simplement, personne ne souhaite retrouver dans les résultats de Google un lien ou une photo compromettante. Mais comment faire pour lutter contre les moteurs de recherche qui indexent tout le Web ? Internet est peut-être une « Terre du Savoir » qui offre un accès à l’information à chacun, mais quant est-il des données sensibles et personnelles ? Certains penseront qu’il s’agît tout simplement d’une information que chacun à le droit d’obtenir alors que d’autres mettront en avant l’intimité et le respect de la vie privée. La frontière entre le droit à l’information et le droit à l’oubli numérique n’est donc pas évidente à délimiter.
Que dit la loi ?
En France, il faut remonter jusqu’au 6 janvier 1978, date à laquelle apparaît la loi Informatique et Liberté. Les Français, soucieux des données personnelles collectées par les organismes publics et l’État, se sont mobilisés pour défendre un droit d’accès, de modification et de suppression de ces données. Aujourd’hui, lorsque l’on remplit un formulaire en ligne, cette loi est systématiquement mentionnée afin de garantir à l’internaute un certains contrôle sur les données qu’il laisse. Dans le même temps, apparaît la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), un organisme indépendant chargé de garantir la bonne application de la loi Informatique et Liberté. Plus tard, cette organisme s’occupera aussi des différentes réclamations et affaires liées à la protection des données personnelles.
Par la suite, cette loi sera modifiée 14 fois par différents décrets. Mais c’est en 2004 qu’apparaît un décret qui permet d’appliquer le droit européen au même titre que le droit français. Peu à peu, les différents pays de l’Union Européenne se mobilisent afin de participer à la réflexion autour de la mise en ligne de données personnelles.L’objectif est surtout d’établir les recours possibles face à des organismes privés comme Google, qui lui dépend du droit américain. La plupart des services comme Facebook, Twitter ou encore Google sont utilisés en France mais leurs conditions générales d’utilisation (CGU) dépendent de la juridiction des États-Unis. Concrétement, un utilisateur accepte ces CGU (souvent sans les lire!) et accepte donc de dépendre de la juridiction américaine. Les agences de protection des données personnelles de nombreux États membres de l’UE cherchent donc à obliger Google, entre autres, à adapter ses CGU. De nombreuses affaires apparaissent alors et c’est souvent à la Cour de Justice de l’Union européenne qu’il est demandé de trancher.
Google face à l’Europe
Il existe de nombreuses affaires dans lesquelles les internautes cherchent absolument à défendre leurs données personnelles face à l’indexation massive de Google. Dernièrement, un internaute espagnol a exigé la suppression de deux articles de presse dans les résultats de recherche de Google. Ces deux articles mentionnaient les dettes de l’internaute et surtout, ils n’étaient plus d’actualité mais toujours référencés par le moteur de recherche. L’Agence de protection des données espagnole n’a pas demandé la suppression des articles, mais elle a tout de même donné raison à l’internaute sur le fait que ces articles ne soient plus d’actualité. L’affaire a alors été portée devant la justice espagnole qui a finalement demandé à la Cour de justice de l’Union européenne de trancher.
La CJUE a alors fait deux conclusions. La première est que Google, comme tout autre moteur de recherche, indexe et collecte toutes sortes de données (dont des données personnelles), dans le but d’offrir aux internautes le meilleur service de recherche. La seconde conclusion est que la collecte de données personnelles a considérablement augmenté. Pire encore, la CJUE conclut qu’il est désormais possible de retracer la vie privée d’un individu avec l’ensemble des données collectées. Google a donc été débouté par la justice européenne qui estime que les moteurs de recherche exploitent des données personnelles en Europe sans que le droit européen ne s’applique. L’internaute n’a donc pas accès à ses données personnelles et ne peut pas les modifier.
La CJUE a fait un grand pas en avant en renforçant le droit à l’oubli numérique. En affirmant que le droit européen devait s’appliquer en toute circonstances, la CJUE offre aux internautes un nouveau recours pour les utilisateurs.
Un formulaire pour le droit à l’oubli
Même si le procès n’est pas terminé, Google a décidé de réagir par la mise en place, en Europe uniquement, d’un formulaire de droit à l’oubli. Les internautes peuvent donc faire valoir leur droit en spécifiant à Google les URL qu’ils ne souhaitent plus retrouver dans le moteur de recherche. C’est un pas en avant en ce qui concerne le droit à l’oubli numérique, mais qu’en est-il réellement ?
En pratique, le formulaire est assez simple. En plus de préciser le nom, le prénom et l’adresse mail de contact, il faudra fournir, en pièce jointe, un document qui prouve son identité. Ensuite, il faudra aussi fournir les URL jugées obsolètes ou compromettantes et expliquer pourquoi elles ne devraient plus apparaître dans les résultats de recherche. Finalement, il ne reste plus qu’à préciser la date de signature, d’apposer une signature numérique. et le tour est joué ! Ce formulaire plutôt simple à remplir est donc une petite révolution qui a su trouver son public.
41 000 demandes en une semaine
Le succès est au rendez-vous pour ce formulaire puisque déjà 41 000 demandes ont été effectuées. Mais il faudra encore attendre pour que Google réponde à ces demandes. Elles seront traitées au cas par cas et Google se réserve le droit de mentionner en bas de ses résultats qu’un lien a été supprimé suite à la demande d’un internaute. Aussi, les liens supprimés ne le seront que pour l’Europe ! Autrement dit, en dehors des frontières de l’UE, les liens que l’internaute ne souhaite plus voir apparaître dans Google seront toujours visibles.
En parallèle de ce formulaire, un comité spécifique sera mis en place en Europe afin de réfléchir à la question du traitement des données privées. Ce comité sera composé de Éric Schmidt, ancien PDG de Google, de Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, de Luciano Floridi, professeur d’éthique à l’Oxford Internet Institute, de Peggy Valcke, chercheuse en droit à l’Université de Louvain, de Jose Luis Pinar, ancien directeur de l’Agence de protection des données espagnole, et de Franck La Rue, le rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’expression.
Ce comité est créé en réponse aux internautes toujours plus soucieux de leur réputation en ligne et des données que l’on peut collecter sur eux. Il permettra certainement de faire avancer le droit à l’oubli numérique en Europe tout en garantissant un certain droit d’accès à l’information à tous les internautes.
A l’avenir, on peut imaginer qu’une loi limitera la collecte de données sans l’interdire pour autant. Ainsi, les organismes privés pourront toujours analyser le comportement de leurs utilisateurs et la vie privée des internautes serait en partie préservée. Seulement, il n’existe pas de juste milieu et cela sera certainement long à mettre en place. L’arbitrage au cas par cas semble être, pour le moment, la seule solution.